Réglementation économique

Le secteur de l’électricité fait actuellement l’objet d’une transformation dictée par l’évolution des attentes des clients et de la société au sujet de la décarbonisation, de la décentralisation, de la numérisation et de la démocratisation.

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Le secteur de l’électricité fait actuellement l’objet d’une transformation dictée par l’évolution des attentes des clients et de la société au sujet de la décarbonisation, de la décentralisation, de la numérisation et de la démocratisation.

  • La décarbonisation constitue la tendance la plus marquée au sein du secteur en raison de l’urgence de lutter contre les changements climatiques et de l’augmentation fulgurante des investissements dans l’énergie propre.
  • La décentralisation favorise l’adoption des microréseaux et d’autres ressources énergétiques distribuées, en particulier dans les communautés éloignées ayant un accès limité au réseau provincial ou territorial.
  • La numérisation suscite des améliorations formidables dans la technologie des communications pour optimiser l’exploitation du réseau grâce à des technologies de pointe comme l’intelligence artificielle, les chaînes de blocs et la robotique. Ces technologies ont permis de réduire les coûts et de réaliser des gains d’efficience à la fois pour les producteurs et les consommateurs d’énergie.
  • Dans certaines provinces et certains territoires, la démocratisation permet l’entrée de nouveaux acteurs dans le marché de l’électricité.

Ces nouvelles tendances transforment le secteur de l’électricité, mais on ne prend pas en compte les entreprises qui s’y adaptent dans le cadre des réseaux actuels à tarifs réglementés. Bon nombre de compagnies d’électricité ont commencé à renforcer leurs capacités et leur offre de services reposant sur l’innovation par l’intermédiaire de filiales non réglementées. Toutefois, dans l’intérêt public, il faut permettre que ces innovations voient également le jour dans les réseaux à tarifs réglementés. En ne permettant pas aux compagnies d’électricité d’innover davantage et de prendre plus de risques pour s’adapter à l’évolution du paysage, on entraverait les progrès et la modernisation du secteur. De plus, on porterait ainsi préjudice aux clients en ce qui a trait aux tarifs qu’ils paient, au mode de prestation des services et aux options qui s’offrent à eux en matière de gestion énergétique. L’évolution des attentes du gouvernement et de la société au sujet de l’électrification des transports constitue l’enjeu primordial de la transformation axée sur la décarbonisation, la décentralisation, la numérisation et la démocratisation. L’électrification des transports s’accélère partout dans le monde. Or, la capacité du secteur à répondre efficacement à cette demande croissante est essentielle à son succès à long terme. Au Canada, bon nombre de compagnies d’électricité sont particulièrement bien placées pour soutenir la croissance des transports électrifiés – non seulement en produisant de l’électricité, mais aussi en faisant des investissements stratégiques dans les infrastructures de distribution et de recharge rapide. Par ailleurs, les directives provinciales et territoriales doivent introduire une innovation accrue sur le plan de la réglementation, dans une mesure variable, pour établir des catégories de tarifs appropriées afin de répondre à différents besoins de recharge et d’autoriser les entreprises à déterminer les tarifs en fonction des coûts d’infrastructure initiaux associés au déploiement des bornes de recharge rapide.

Un peu d’histoire

  • Pendant la première décennie du XXe siècle, Samuel Insull a contribué au développement de ce qui allait devenir le modèle économique et réglementaire dominant pour le réseau d’électricité. À l’époque, la taille des compagnies d’électricité était limitée du fait que leur rôle consistait principalement à répondre aux besoins résidentiels pour l’éclairage, ce qu’elles faisaient le soir, si bien que l’infrastructure électrique n’était pas utilisée pendant le jour. Bon nombre d’entreprises commençaient à consommer l’électricité le jour, mais elles avaient généralement recours à l’autoproduction en raison des tarifs élevés pratiqués par les fournisseurs. La stratégie commerciale d’Insull reposait sur l’idée qu’une augmentation de la demande globale d’électricité permettrait d’acquérir des installations de production plus puissantes et de réaliser des économies d’échelle. Plus précisément, le but était d’offrir des tarifs concurrentiels aux utilisateurs industriels pendant le jour. En 1907, Insull a acquis 20 autres compagnies d’électricité dans la région de Chicago et créé Commonwealth Edison.1
  • Pendant les premières décennies du XXe siècle, les compagnies d’électricité des deux côtés de la frontière ont commencé à se regrouper et à ressembler beaucoup aux monopoles établis dans d’autres secteurs de l’économie, principalement dans l’industrie ferroviaire. Ces entreprises suscitaient de plus en plus de mécontentement parmi la population, qui jugeait abusive leur emprise croissante sur le marché. À titre d’exemple, les économistes associés à « l’ère progressiste » aux États-Unis – entre la fin des années 1890 et la fin de la Première Guerre mondiale – en étaient arrivés à considérer ces acteurs comme des « monopoles naturels » qui avaient besoin d’investissements en capitaux si énormes pour maximiser les économies d’échelle que le recours à un seul fournisseur d’électricité constituait la solution optimale. Ainsi, la coexistence de plusieurs sociétés ferroviaires, entreprises de distribution d’eau ou compagnies d’électricité concurrentes dans une même région était considérée comme inutile et inefficace pour le consommateur final. C’est pourquoi un monopole a été accordé aux entreprises de services publics dans différentes régions du Canada et des États-Unis, sous la supervision de commissions de réglementation qui régissaient les investissements dans l’optique d’obtenir le coût le plus bas pour les consommateurs.

Importance d’actualiser la plus grande machine sur la planète

  • Au cours des 150 dernières années, le réseau d’électricité n’a cessé d’évoluer pour répondre aux besoins de la société. Il a donné naissance à notre mode de vie moderne en alimentant de nouvelles technologies et en stimulant la croissance économique grâce à un approvisionnement fiable. Le réseau d’électricité est encore une fois en pleine transformation : il évolue pour alimenter une foule de nouvelles technologies, comme les véhicules électriques, et intégrer de nouvelles sources de production, comme les panneaux solaires de toit appartenant aux clients et les dispositifs de stockage.
  • Le réseau devrait procurer à la société de nouveaux avantages importants, comme la production d’électricité sans émissions de carbone, de l’énergie qui sera utilisée dans une multitude de technologies non polluantes ainsi que de l’électricité propre pour les secteurs industriels autrefois dépendants des combustibles fossiles.
  • Les difficultés sont considérables. Par exemple, selon les estimations d’Environnement et Changement climatique Canada (ECCC), le pays devra produire de deux à trois fois plus d’énergie sans émissions qu’il le fait actuellement pour atteindre son objectif de carboneutralité d’ici 20502. Comme ce fut le cas dans le passé, cette démarche se traduira par l’expansion de notre réseau pour permettre d’acheminer l’électricité propre du lieu de production au lieu de consommation.
  • Elle se traduira également par un réseau réinventé. Par exemple, les communautés éloignées et rurales qu’il est impossible de raccorder au réseau et qui sont depuis longtemps dépendantes de génératrices diesel polluantes seront graduellement dotées de microréseaux reposant sur une énergie 100 % renouvelable et une combinaison d’énergie éolienne et solaire, de stockage d’énergie et d’autres nouvelles technologies énergétiques. Par exemple, l’Agence internationale pour les énergies renouvelables a publié en 2020 une recherche montrant que ces réseaux constituent des solutions de plus en plus concurrentielles. Le coût moyen actualisé de l’énergie provenant des miniréseaux se chiffre actuellement entre 0,39 à 0,75 $ US par kilowattheure (kWh), comparativement à un coût de l’ordre de 0,35 à 0,70 $ US/kWh pour les installations de production alimentées aux combustibles fossiles liquides. L’Agence prévoit que ce coût chutera à 0,20 $ US/kWh d’ici 20353.
  • Il est important de signaler qu’un réseau moderne peut alimenter le développement économique et social au Canada, comme l’a fait auparavant le réseau en place. À cet égard, des chercheurs de l’Université de Calgary et de l’Université Simon Fraser estiment que le succès des miniréseaux repose sur le recours à du personnel d’exploitation et à des travailleurs locaux4.
  • Selon des estimations établies dans le cadre de travaux récents menés à l’Université de Princeton, les États-Unis investiront 9,4 billions de dollars pour renouveler leur filière énergétique entre 2020 et 2030 selon le scénario du statu quo5. Or, pour avancer sur la voie de la carboneutralité d’ici 2050, il leur suffirait d’investir 3 % (ou 300 milliards de dollars) de plus. C’est là un point important qui met en relief l’importance de ne pas s’en tenir au coût le plus bas et de faire l’investissement supplémentaire qui permettra d’obtenir un rendement non négligeable en freinant les changements climatiques. Un renouvellement du réseau d’électricité s’impose également au Canada. Il serait judicieux de permettre à nos compagnies d’électricité de faire les investissements supplémentaires nécessaires au lieu de se limiter à remplacer l’infrastructure vieillissante par des équipements identiques. À terme, ces fonds supplémentaires devront venir de quelque part. Or, comme l’infrastructure d’électricité a une durée de vie de quelques dizaines d’années, nous ne devons pas tarder à prendre cette décision. Malheureusement, le mandat de la plupart des organismes de réglementation des provinces et des territoires les oblige à examiner les investissements dans le secteur en se concentrant exclusivement sur la réduction des coûts, même si ces investissements limités ne permettent pas d’atteindre de grands objectifs sociaux.

Gouvernement fédéral

  • Établir un mécanisme de coordination des politiques fédérales, provinciales et territoriales : Les forums des ministres fédéraux, provinciaux et territoriaux chargés de l’énergie (Conférence des ministres de l’Énergie et des Mines) ou des questions environnementales (Conseil canadien des ministres de l’Environnement) n’ont pas réussi à faire approuver par les organismes de réglementation des projets novateurs du secteur de l’électricité. Il est donc impératif que ces deux forums priorisent cet enjeu lors de leurs prochaines réunions, qu’ils envisagent de créer un mécanisme de consultation conjoint pour coordonner les mesures stratégiques en réponse aux enjeux d’intérêt national et qu’ils obtiennent l’adhésion des provinces et des territoires pour les projets de directives à l’intention des organismes de réglementation de l’énergie. Le gouvernement fédéral est bien placé pour collaborer avec les provinces et les territoires sur des enjeux comme les investissements dans les réseaux intelligents, les petits réacteurs modulaires, le stockage par batterie, l’électrification et l’hydrogène. Les directives provinciales et territoriales aideraient les compagnies d’électricité à atteindre les objectifs stratégiques fixés par le gouvernement de la province ou du territoire où elles exercent leurs activités.
  • Simplifier le financement axé sur l’innovation : Au lieu de faire des gagnants et des perdants à l’issue de fastidieux processus de demandes de financement, le gouvernement fédéral devrait cerner les enjeux prioritaires (p. ex. l’efficacité énergétique, l’électrification et l’hydrogène), trouver des agents d’exécution (p. ex. les compagnies d’électricité) et allouer des crédits selon une formule appropriée (p. ex. au prorata du nombre d’habitants ou de clients). De cette façon, tous y gagneraient – le gouvernement, les entreprises et les clients.

Gouvernements provinciaux et territoriaux

  • Émettre des directives à l’intention des organismes de réglementation : Les gouvernements provinciaux et territoriaux devraient aller au-delà des lois régissant traditionnellement le secteur de l’électricité (p. ex. la Loi nationale sur l’Office de l’énergie) et émettre des directives en temps opportun pour favoriser les mesures réglementaires novatrices et les processus connexes. Ainsi, les organismes de réglementation pourraient envisager d’approuver des projets novateurs du secteur de l’électricité de manière à répondre aux objectifs stratégiques des gouvernements, d’appuyer les efforts de recherche et développement, d’assouplir les processus réglementaires et de réduire les délais et les coûts associés aux demandes tarifaires.
  • Établir des systèmes de réglementation de nature non antagoniste : Les gouvernements provinciaux et territoriaux renforceraient ainsi la confiance et la collaboration entre les principaux acteurs dans le but de répondre aux priorités stratégiques gouvernementales et de procurer des avantages aux clients.

Organismes provinciaux et territoriaux de réglementation de l’énergie

  • Adopter pour les approbations réglementaires une approche axée sur le système : Les organismes provinciaux et territoriaux de réglementation de l’énergie devraient examiner le rôle du secteur de l’électricité dans l’atteinte des objectifs nationaux de décarbonisation et rendre possible la poursuite d’initiatives novatrices, susceptibles de contribuer à l’atteinte des objectifs environnementaux, sociaux et économiques.
  • Encourager la transformation numérique : Les structures réglementaires actuelles n’encouragent pas les investissements dans la numérisation. Ainsi, du fait qu’ils ne donnent pas lieu à des investissements physiques, les services d’infonuagique ne sont généralement pas admissibles en vertu des taux de rendement réglementés. Pour cette raison, on ne priorise pas les investissements dans ce type de systèmes, même s’ils se traduisent souvent par des économies et des gains d’efficacité.

Sources

1Emergence of Electrical Utilities in America.

2Électricité propre.

3Quality Infrastructure for Smart Mini-Grids.

4 « Why renewable energy “Energy mini-grids” in remote communities fail and hot to avoid it », The Conversation.

5Big but affordable effort needed for America to reach net-zero emissions by 2050, Princeton study shows.

Ressources connexes

Rapport / 5 août 2022

NET ZERO: AN INTERNATIONAL REVIEW OF ENERGY DELIVERY SYSTEM POLICY AND REGULATION FOR CANADIAN ENERGY DECISION MAKERS

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Vidéo / 19 novembre 2021

ACE et CAMPUT : Atelier traitant des perspectives sur la réglementation qui régit la lutte contre la pandémie par les compagnies d’électricité et la transformation numérique de ces entreprises (vidéo en anglais)

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Article / 11 juin 2021

Le Réseau, « Que pouvons-nous apprendre de Tommy Douglas dans l’optique des changements climatiques? »

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Vidéo / 7 juin 2021

Forum sur la réglementation 2021 organisé par l’ACE en collaboration avec CAMPUT et Ressources naturelles Canada : La réglementation de l’électricité et les quatre éléments perturbateurs (vidéo en anglais)

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Rapport / 16 mai 2021

État de l’industrie canadienne de l’électricité 2021, chap. 3, « Un coup de barre s’impose – modernisation des systèmes provinciaux et territoriaux de réglementation de l’énergie »

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Rapport / 1 avril 2020

« Capitalizing the Cloud: An Analysis of challenges and opportunities for the Canadian utilities sector », Energy Regulation Quarterly (en anglais seulement)

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Rapport / 19 janvier 2020

CEA Regulatory Cumulative Impact Study 2021 Update

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Rapport / 19 mars 2019

Navigant Report Overview: “Starting a conversation: Is there flexibility to adapt Canada’s current utility regulation landscape?”

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