Qu’entend-on par « en aval du compteur »?
Une ligne de démarcation entre les secteurs privé et public ainsi qu’entre les activités non réglementées et réglementées
L’expression « en aval du compteur » peut être comprise dans son sens littéral. Pour notre organisation et notre réseau d’électricité, elle renvoie à toute l’énergie produite au moyen d’une source autre que le réseau que possède et qu’exploite le secteur public. (Par ricochet, toute l’énergie « en amont du compteur » est fournie par ce réseau.) Selon cette compréhension, l’expression indique une ligne de démarcation entre, d’une part, l’énergie fournie aux consommateurs par une compagnie d’électricité publique qui détient un monopole et, d’autre part, celle produite, stockée et utilisée par des consommateurs du secteur privé, qu’il s’agisse de propriétaires d’habitations, d’entreprises ou d’installations industrielles.
Cette définition littérale donne un point de référence fixe aux compagnies d’électricité et aux autorités compétentes quant à la réglementation de la production, du transport et de la distribution d’électricité ainsi que du stockage d’énergie. Contrairement aux activités en amont du compteur, celles en aval ne sont pas réglementées. Par contre, elles procurent aux consommateurs un point de repère concernant le paiement de l’électricité. Ainsi, dans le cas des activités en amont du compteur, les consommateurs paient l’électricité qu’ils utilisent. Dans le cas de celles en aval du compteur, ils ne la paient pas.
L’expression « en aval du compteur » peut aussi être comprise de façon métaphorique. Envisagée dans cette optique, elle renvoie à un lieu physique – un lieu plutôt caché ou secret à partir duquel le réseau d’électricité réglementé n’exerce aucune emprise. Ce qui se passe en aval du compteur relève du domaine privé : l’équipement qui s’y trouve est du ressort des consommateurs privés exerçant des activités non réglementées.
Une définition pour une ère simple
L’expression « en aval du compteur » a commencé à se répandre dans les années 1970. Elle était utilisée à l’origine pour définir et décrire les installations de production d’énergie dont les propriétaires d’habitations et les entreprises commençaient à se doter, principalement les panneaux solaires, les petites éoliennes et les génératrices à essence. En appoint à leur approvisionnement en électricité, ces installations offraient aux consommateurs un moyen de réduire leur dépendance au réseau d’électricité, de réduire leurs frais d’électricité et de concrétiser leur détermination à protéger l’environnement.
Lentement mais sûrement, les technologies et les activités en aval du compteur ont évolué pour refléter encore mieux l’expression à mesure que les panneaux solaires et les éoliennes devenaient plus polyvalents et plus abordables et que les propriétaires commençaient à installer des systèmes géothermiques de chauffage, de ventilation et de conditionnement d’air dans les habitations, les bâtiments commerciaux et les installations industrielles.
En parallèle, les gouvernements fédéral et provinciaux se sont donné un rôle en aval du compteur en offrant des remises et d’autres mesures incitatives pour encourager les propriétaires d’habitations et les entreprises du pays à adopter des technologies en aval du compteur. Ils ont aussi commencé à certifier des produits de consommation, par exemple des électroménagers, pour leur efficacité énergétique. Ces mesures incitatives et la certification ont contribué à définir une politique de réglementation s’appliquant non seulement aux produits et équipements actuels, mais aussi aux nouvelles avancées appelées à voir le jour en aval du compteur.
Ce qui était à l’avant-garde est maintenant dépassé
Les technologies en aval du compteur ont peut-être constitué, pendant les 50 dernières années, une ligne de démarcation logique définissant et délimitant la filière énergétique au Canada, mais elles sont devenues un moyen de moins en moins acceptable d’envisager la production, le transport, la distribution et la consommation d’électricité ou le stockage d’énergie en 2021 – et surtout pour l’avenir. En particulier, les réseaux intelligents et les microréseaux modifient intrinsèquement la façon de penser et d’agir des gens et des collectivités à l’égard de ces activités.
En raison de ces réseaux, la ligne de démarcation entre l’aval et l’amont du compteur est de plus en plus floue. Bien qu’ils se trouvent en amont du compteur, les réseaux intelligents et les microréseaux subissent les effets des attitudes et des activités observées en aval. Par ailleurs, des applications logicielles changent la façon dont les consommateurs – propriétaires d’habitations, entreprises ou installations industrielles – envisagent tous les aspects de la consommation d’énergie, mais en particulier son utilisation et son stockage. Pourtant, même si on les utilise en aval du compteur, ces applications subissent les effets des décisions et des mesures prises par les compagnies d’électricité et les gouvernements qui évoluent en amont.
Un souci mutuel
Cette situation met en évidence le caractère de plus en plus inadéquat des technologies en aval du compteur. Plus que jamais auparavant, les compagnies d’électricité se soucient des comportements et des activités des consommateurs en aval du compteur, mais ceux-ci ont un intérêt direct non seulement dans les décisions et les mesures prises par ces entreprises, mais aussi dans les politiques actuelles et futures appelées à régir le réseau d’électricité.
Le caractère inadéquat des technologies est amplifié du fait que l’on assistera inévitablement à une accélération de la complexité des réseaux intelligents, des microréseaux et des applications logicielles et à un élargissement de leur portée. Par conséquent, l’opinion des consommateurs de toutes tendances au sujet de l’électricité et la façon dont ils l’utilisent deviendront assurément plus diversifiées et complexes, ce qui estompera encore davantage la ligne de démarcation. Les Canadiens ne seraient pas étonnés si les avancées technologiques, les demandes du marché et les besoins des consommateurs faisaient disparaître cette ligne de démarcation, qui ne serait donc plus utile pour assurer une compréhension claire et commune de l’état et de l’avenir de l’électricité au pays.
« En périphérie du réseau » – une expression qui représente mieux le paysage en mutation?
L’expression « en périphérie du réseau » reflète la fluidité et l’imprévisibilité de la production, du transport, de la distribution et de l’utilisation d’électricité ainsi que du stockage d’énergie. Tout comme l’expression « en aval du compteur », elle peut être comprise dans un sens littéral ou métaphorique. Ces deux expressions offrent un moyen littéral d’établir une démarcation entre, d’une part, l’énergie fournie aux consommateurs par une compagnie d’électricité publique qui détient un monopole et, d’autre part, celle produite, stockée et utilisée par des consommateurs du secteur privé.
Par ailleurs, contrairement au terme « en aval du compteur », l’expression « en périphérie du compteur » tient compte du changement rapide et radical qui s’opère de plus en plus dans le réseau. Tout comme le littoral se modifie sous l’action de la marée et du vent, la périphérie du réseau avance et recule en fonction des besoins humains et environnementaux et du développement technologique. Cette représentation figurative n’est pas pleinement satisfaisante, mais elle le deviendra vraisemblablement de plus en plus à mesure que le secteur canadien de l’électricité fera l’objet de profonds changements, entre autres :
- la mise à profit des milliards de dollars investis au fil des ans dans les réseaux d’électricité provinciaux et régionaux au pays;
- la transformation du réseau d’électricité tout entier afin que le secteur puisse tirer le maximum des avancées et investissements actuels et futurs;
- la capacité du Canada à respecter les engagements en matière de lutte contre le changement climatique qu’il a pris à l’échelle internationale pour 2030 (objectif ambitieux de réduction des émissions de gaz à effet de serre) et 2050 (carboneutralité);
- la réaction que le secteur devra avoir lorsque les grands utilisateurs commerciaux et industriels se débrancheront du réseau public, ce qui fera monter en flèche les tarifs pour les propriétaires d’habitations.
Reconnaissance des menaces
Ce dernier point constitue l’une des menaces qui pèseront sur les compagnies d’électricité locales à mesure que les changements associés aux expressions « en aval du compteur » et « en périphérie du réseau » verront le jour et s’accéléreront. Cinq questions résument ces menaces :
Comment les compagnies d’électricité locales s’y prendront-elles pour maintenir, voire accroître leurs revenus lorsque plusieurs grands consommateurs d’électricité se débrancheront du réseau en partie ou en totalité?
Comment les compagnies d’électricité locales réagiront-elles face aux propriétaires d’habitations et aux petites entreprises qui exprimeront leur colère lorsque leurs tarifs d’électricité monteront en flèche dans la foulée du départ de ces grands consommateurs?
Comment les compagnies d’électricité locales réagiront-elles lorsque les élus municipaux, provinciaux et fédéraux prôneront un gel des tarifs ou d’autres réformes réglementaires au nom de leurs électeurs?
Comment les compagnies d’électricité locales réagiront-elles lorsque des fournisseurs d’énergie entreront sur le marché en remettant en question la réglementation actuelle et en rendant caducs les concepts comme « en aval du compteur » et « en périphérie du réseau »?
Comment notre secteur s’y prendra-t-il pour maintenir un réseau d’électricité équitable et fiable et préserver nos investissements afin d’étendre et de renforcer le réseau lorsque les activités des consommateurs – petits ou grands – exercées en aval du compteur s’accéléreront et s’accroîtront?
Une solution globale indispensable pour l’avenir de notre secteur et de notre pays
Compte tenu de la situation en mutation et de l’avenir incertain, le Canada doit faire un pas de plus en aval du compteur pour proposer une solution globale qui permettra non seulement à notre secteur de résister à ces menaces, mais aussi au pays de surmonter les difficultés prévisibles et de résoudre habilement celles qui étaient imprévues. Contrairement à la situation observée à l’époque où le concept des activités en aval du compteur était plus pertinent, l’amélioration de l’efficacité énergétique sera nettement insuffisante pour permettre au pays de s’adapter aux changements et de résoudre les difficultés. Les mesures incitatives et les certifications proposées par les gouvernements seront tout aussi insuffisantes.
Le Canada doit procéder à un examen national pour découvrir ce que font les consommateurs et pourquoi, quelles technologies émergent le plus rapidement, quels seront les nouveaux joueurs qui perturberont le secteur en premier lieu et quelles réformes réglementaires sont nécessaires pour régir tous ces aspects. En particulier, il devra déterminer comment les améliorations réglementaires pourront faire en sorte que notre réseau d’électricité demeure sûr, fiable et abordable, préserver la valeur des investissements et permettre au pays de respecter ses engagements en matière de lutte contre le changement climatique.
Dans le contexte de toute cette incertitude croissante, les Canadiens sont certains d’une chose : le réseau de 2050 sera différent de celui d’aujourd’hui. De plus, le pays doit s’y préparer non seulement en comprenant la véritable signification de l’expression « en aval du compteur », mais aussi en allant encore plus loin.