6 février 2025 / Par Current Affairs

Le commerce de l'électricité en Amérique du Nord

Le 4 février , les États-Unis ont mis en place de nouveaux droits de douane de 25 % sur la plupart des produits canadiens et de 10 % sur les sources d'énergie en provenance du Canada. Le Canada a réagi en imposant des droits de douane similaires sur les produits américains. Le 3 février, ces mesures ont été « suspendues » par les deux pays, et ce, pour un mois. Cependant, des questions subsistent quant aux effets que ces droits de douane pourraient avoir sur le réseau électrique des deux pays s’ils étaient réimposés.

Le commerce d'électricité entre le Canada et les États-Unis dure depuis plus d'un siècle. Le réseau intégré donne aux deux pays un sentiment de sécurité et de flexibilité quant à leur consommation d'énergie, et ils peuvent compter l'un sur l'autre pour maintenir l'approvisionnement électrique en cas de besoin. Current Affairs s'est entretenu avec Robin Yee, responsable des affaires américaines, pour discuter des occasions et des défis potentiels à venir en matière de politique énergétique avec la nouvelle administration.

Bonjour Robin. Merci de vous joindre à nous. Pouvez-vous nous expliquer comment le commerce d'électricité transfrontalier a traditionnellement fonctionné depuis les 100 dernières années, et ce, jusqu'à aujourd'hui?

Le commerce transfrontalier est né de forces et de besoins naturels qui se sont complétés. Au lieu de forcer une région à surconstruire pour répondre à sa demande maximale tout au long de l'année, elle peut se coordonner avec ses voisins et puiser dans leur excédent lorsque l'électricité n'est pas utilisée. Par exemple, les Canadiens ont généralement tendance à consommer plus d'électricité en hiver (pour le chauffage), alors qu'aux États-Unis, la demande est plus forte en été (pour la climatisation). Plutôt que de construire pour se préparer à un pic qui ne se produira que quelques semaines dans l'année, nous pouvons faire preuve de stratégie et trouver un équilibre entre les deux.

Si, comme ils en ont été menacés, les États-Unis imposent des droits de douane sur les produits canadiens, y compris l'électricité, quelles en seraient les conséquences?

Tout d'abord, l'ensemble du système électrique a été construit sur la base d'un commerce de l'électricité sans droits de douane, de sorte que l'imposition de droits de douane causerait de grandes perturbations. Les décisions commerciales ont été prises en fonction de l’abordabilité et de la disponibilité de l'électricité, et pas seulement pour notre secteur, mais aussi aux États-Unis pour les industries qui consomment beaucoup d'énergie. L'imposition de droits de douane a un effet d'entraînement, mais l’impact le plus évident est économique.

Si les États-Unis imposent des droits de douane sur l'électricité canadienne, cela signifie que leurs consommateurs et leurs fabricants paieront l'électricité plus cher. Les États-Unis importent de l'électricité du Canada pour des raisons de rentabilité. Et l'électricité n'est pas un produit que l'on peut facilement se procurer à l'étranger!

Ces mêmes droits de douane pourraient également entraîner une augmentation des factures au Canada. C'est contre-intuitif, mais une baisse des exportations pourrait se traduire par une réduction des revenus à l’échelle nationale. L'électricité vendue est souvent de l'électricité excédentaire, qui n’est pas nécessaire à ce moment-là. En période de surplus de production, comme de l'énergie éolienne ou hydroélectrique, vendre à nos voisins est une solution bénéfique pour tous.

Par ailleurs, même si le Canada est un exportateur net, nous continuons à importer de l’électricité des États-Unis, et ces importations sont importantes dans les régions où elles sont utilisées. La Colombie-Britannique traverse un cycle de sécheresse et a dû accroître ses importations d'électricité ces dernières années. Si les coûts de l'électricité augmentent aux États-Unis, le prix des exportations américaines vers le Canada augmentera également.

Nous surveillons également l'impact sur l'ensemble de la chaîne d'approvisionnement. Là encore, on parle de perturbations, et pour un secteur réglementé qui a de longs délais de planification, d'approbation et d'approvisionnement, les droits de douane apportent beaucoup d'incertitudes dans la chaîne d'approvisionnement en ce qui concerne les coûts et la disponibilité. Cela affecte non seulement les nouveaux projets, mais également la maintenance et la modernisation.

En plus des droits de douane, quels sont les autres aspects des relations entre les États-Unis et le Canada qui nous préoccupent actuellement?

Nous suivons également l’orientation que prendra la politique énergétique des États-Unis. Le nouveau gouvernement a des priorités nettement distinctes de celles du gouvernement précédent, et se concentre davantage sur le développement de la production nationale de pétrole et de gaz. Une grande partie de la politique menée au cours des quatre dernières années sera suspendue ou annulée. L'incertitude réglementaire est importante et je pense que cela constitue un élément majeur à surveiller : des changements auront-ils lieu dans les structures du marché ou dans les hypothèses réglementaires?

Quelles actions avez-vous menées, vous et les membres de l'équipe des relations gouvernementales d'Électricité Canada?

Nous avons été bien occupés! Nous sommes en discussion avec trois groupes principaux. Le premier est constitué de nos membres, en particulier ceux œuvrant dans la commercialisation énergétique, les relations gouvernementales ou la chaîne d'approvisionnement. Nous devons comprendre leurs préoccupations et leurs priorités face à l'évolution du paysage américain.

Nous avons également échangé avec des représentants clés du gouvernement canadien pour partager des informations sur l'industrie et mieux comprendre la réflexion derrière la planification d'une réponse, et la manière dont nous pouvons informer et soutenir cette démarche d'une manière unifiée. Ceci est très important.

Nous avons aussi transmis le message directement aux États-Unis, en rencontrant des dirigeants d'associations industrielles et des parties prenantes. Alors que le nouveau gouvernement s'installe, nous rencontrerons également les responsables de la politique énergétique, comme nous le faisons depuis des années. Le commerce de l'électricité est un élément fonctionnant si bien, depuis des décennies, dans la relation transfrontalière, que cela passe inaperçu pour beaucoup. Mais dans l’ensemble, je constate qu'une fois que l'on examine les avantages que les deux pays en retirent, les gens en comprennent vraiment l’enjeu et la valeur.

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