9 avril 2024 / Par Current Affairs

Le moment est venu d’obtenir un oui

Le secteur de l’électricité a peut-être enregistré des gains gigantesques l’an dernier, mais la culture du « non » représente un défi, énorme lui aussi. Les projets d’électricité sont retardés ou stagnent à l’étape des approbations. Il y a pourtant des solutions simples pour rendre notre réseau électrique plus propre, plus fiable et plus abordable.

Dans ce contexte, la dernière publication d’Électricité Canada sur l’état de l’industrie de l’électricité s’intitule « Obtenir un oui ». Le document met en évidence les possibilités et les défis actuels du secteur de l’électricité. Pour en savoir davantage, la rédaction d’Affaires courantes a rencontré Graeme Burk, co-rédacteur du rapport et directeur des Communications à Électricité Canada.

Bonjour Graeme, merci de nous rencontrer. Qu’est-ce donc que le rapport sur l’état de l’industrie?

Chaque année, Électricité Canada produit un document sur l’état actuel de l’industrie de l’électricité. Nous nous en servons lorsque nous faisons du lobbying et dans nos relations avec les gouvernements et les acteurs du secteur. Il donne une idée des grandes priorités du secteur en ce moment. C’est un peu comme le discours sur l’État de l’Union, mais cela porte sur le secteur de l’électricité au Canada.

Pourquoi ce rapport a-t-il pour titre « Obtenir un oui »?

Quand j’ai commencé à travailler à Électricité Canada en 2022, le thème du rapport était « accélérer la carboneutralité », car nous avons bien du pain sur la planche et nous devons nous activer si nous voulons que le réseau électrique soit carboneutre d’ici 2035 ou 2050. L’an dernier, le titre du rapport était « Bâtissons », car nous étions convaincus qu’il fallait d’abord et avant tout bâtir le réseau et nous craignions que le temps viendrait à manquer.

Et puis cette année, nous avons décidé de laisser de côté les métaphores sur la nécessité de bâtir. Nous nous sommes demandé : « Qu’est-ce qui nous empêche de vraiment faire avancer les choses? ». Nous l’avons intitulé « Obtenir un oui » parce que nous trouvions que certaines choses ralentissaient tout le processus, surtout en ce qui a trait à la réglementation, en ce qui a trait aux lois, en ce qui a trait aux procédures.

En fait, il y a toute une gamme de choses qui nous empêchent d’avancer et nous voulions expliquer cette situation davantage. Si nous ne pressons pas le pas, nous n’allons pas respecter les échéances de 2035 ou de 2050.

Comment se porte en ce moment le secteur de l’électricité au Canada?

L’an dernier a été une grande année pour l’électricité. C’est, à mon avis, ce qu’il est vraiment important de comprendre. Nous devons faire de véritables pas en avant pour construire d’ici 2050 un réseau électrique plus grand, plus fiable et plus abordable. Le budget fédéral a alloué aux projets d’électricité près d’un dollar sur huit. Du jamais vu depuis la Seconde Guerre mondiale.

En même temps, depuis l’annonce du budget, nous avons dû composer avec beaucoup d’incertitude. Le Règlement sur l’électricité propre est sorti en août. Ce n’était qu’une ébauche et le règlement est en cours de révision. Mais cette première ébauche en a déçu plusieurs, qui pensent que les ressources allouées ne suffisent pas pour réaliser dans les délais impartis tout ce qu’il faut faire.

Et puis, le dernier budget a prévu un grand potentiel d’investissement avec des mesures comme les crédits d’impôts pour capitaux et les contrats sur différence pour le carbone. Mais aucun de ces deux dossiers n’a vraiment avancé. Alors d’un côté, nous avons un beau tableau pour le secteur de l’électricité, des choses jamais vues jusqu’ici. De l’autre côté, il y a une panoplie de détails à régler pour que ce tableau devienne une réalité.

Dans l’État de l’industrie de cette année, quelles sont les choses qui inquiètent le plus Électricité Canada?

Évidemment, réussir à bâtir. Je me reporte sans cesse au rapport de l’Institut d’action climatique RBC, qui prévoit une croissance monstre pour le secteur de l’électricité en se basant sur les véhicules électriques, le chauffage domestique et d’autres critères. Mais lorsque cet institut s’est penché sur le secteur en tant que tel, le mot qu’il a choisi pour l’électricité au Canada cette année est moratoire. Beaucoup de projets sont en train d’être ralentis. La Boucle de l’Atlantique est probablement le meilleur exemple. C’est un projet d’envergure qui, j’osais espérer, aurait pu faire d’immenses bonds en avant pour ce qui est de bâtir l’infrastructure. Mais le projet a été mis en sursis indéfiniment. Et en Alberta, on a fait un peu la même chose pour des projets d’énergie renouvelable qui ont été interrompus temporairement.

C’est le rythme auquel les choses avancent qui nous inquiète. Si on regarde le projet du Règlement sur l’électricité propre : entre le moment où on a pensé à un tel règlement, le moment de la parution d’une ébauche et maintenant, on parle d’une très longue période. Et nous sommes encore bien loin d’avoir une version finale de ce règlement. À cause de cela, beaucoup de projets à long terme restent dans la balance.

Aussi, il y a un gros conflit entre les politiques fédérales et les organismes de réglementation des provinces et des territoires. Nous avons remarqué que c’est là un des plus gros problèmes, qui revient constamment. Vous avez l’obligation, imposée par le gouvernement fédéral, de décarboner, mais en même temps, vous avez des organismes de réglementation qui, en fait, se basent sur des règles qui remontent aux années 1960. Pour les grands projets d’infrastructure interprovinciale, cela va causer de sérieux problèmes.

Pour 2024, quelles sont certaines des plus grandes préoccupations?

Je crois que la fiabilité et la résilience sont ce qu’il y a de plus inquiétant. Si on regarde l’an dernier, de 40 à 50 % des pannes ont été causées par les conditions atmosphériques. Dans des endroits tempérés comme Kamloops, en Colombie-Britannique, on a enregistré 62 journées à plus de 30 degrés Celsius. Mais malgré tout ce que le réseau a dû subir, il a tenu le coup. Il a fallu surveiller de près l’équipement et nous nous sommes poussés jusqu’à notre limite opérationnelle. En 2024, nous devrons vraiment travailler fort pour continuer de faire la même chose.

Une autre grande inquiétude serait l’abordabilité. Nous devons nous assurer que les frais d’investissement de la construction ne se retrouvent pas sur les factures d’électricité. Je crois qu’il y a beaucoup à faire pour nous assurer que c’est le contribuable qui assume les coûts de la construction, et non le client de la compagnie d’électricité.

Qu’est-ce qui vous a le plus surpris lorsque vous rédigiez le rapport?

Je crois que ce qui m’a le plus surpris, c’était la section sur la réglementation et toutes les formes de complications qui surgissent quand on essaie de construire quelque chose. Je crois qu’en général, la réglementation est nécessaire : il faut que le gouvernement s’assure que les entreprises ne vont pas polluer ou ne vont pas miner la confiance du public. Mais en même temps, j’ai été complètement abasourdi par la nature complexe du processus des évaluations d’impact! J’étais ahuri par le fait que l’ampleur d’un projet peut mettre des bâtons dans les roues d’une évaluation d’impact, et ce, indéfiniment. Pendant nos recherches, nous avons décidé d’aller voir combien de projets étaient retenus par une évaluation d’impact. Il y en a six, dont deux gros projets électriques. Cela est déconcertant. Quelle entreprise va lancer un processus, avec tous les obstacles qu’elle va rencontrer en chemin, si elle n’est pas vraiment déterminée à aller de l’avant et à faire de gros investissements?

Je crois que le gouvernement doit simplifier ce processus pour qu’il soit plus facile d’avancer. Autrement, les gens seront trop incertains pour investir. Ils seront inquiets par le fait que les choses pourraient être retenues à l’infini.

S’il y avait un chapitre que tout le monde dans le secteur de l’électricité devait lire, lequel choisiriez-vous?

J’aime beaucoup le chapitre sur l’accord social. En fait, je ne savais rien au sujet de l’accord social. Mais notre vice-présidente des Communications et de la Durabilité, Julia Muggeridge, a rédigé cela avec brio, et elle a expliqué le processus de manière accessible. Nous avions une étude de cas, celui de SaskPower. Nous avons parlé de tout ce que cette entreprise a fait pour convaincre les gens d’accepter des choses comme les petits réacteurs modulaires et d’autres constructions dans le secteur énergétique. C’est vraiment de la mobilisation communautaire à son meilleur. C’est aller à un aréna de hockey pour rencontrer les gens et répondre à leurs questions. Pendant la pandémie de COVID-19, ils ont organisé des assemblées communautaires monstres sur Zoom et c’est inspirant de voir combien ils ont réussi à mobiliser les gens.

Mais ce que j’ai retiré de tout cela, c’est que c’est ainsi que nous allons obtenir un oui. Arriver à un oui, c’est apprendre à se parler et à travailler ensemble. Je crois que cela vaut autant pour les grandes questions réglementaires et les gros projets électriques interprovinciaux, que pour trouver les meilleurs endroits où installer un petit réacteur modulaire, comme à Estevan, en Saskatchewan. Pour lancer le bal, il faut se mettre à parler aux gens.

Lire « Obtenir un oui » : L’État de l’industrie canadienne de l’électricité.

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